À l’aube d’une agriculture sans pesticides : le plan Ecophyto peut-il réussir ?
Le 6 mai 2024, le gouvernement français a dévoilé la nouvelle mouture du plan Ecophyto, une vision stratégique pour réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici à 2030. Ce projet, initié en 2008 et récemment réactualisé après une période de tensions, s’inscrit dans un contexte de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité.
Le ministère de l’Agriculture a réaffirmé la volonté de soutenir les agriculteurs dans cette mutation, insistant sur le développement de méthodes alternatives et le renforcement de leur accompagnement. Mais au-delà des promesses, des interrogations persistent notamment concernant les moyens de suivi et les alternatives proposées. L’objectif ambitieux est-il réalisable ?
Cet article explore les nuances du plan Ecophyto, ses mécanismes sous-jacents et les défis qu’il devra surmonter.
Un objectif maintenu, un indicateur controversé
Le plan Ecophyto 2030 s’ancre dans la continuité avec l’objectif persistant de réduire de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires. Mais un changement notable s’observe dans le choix de l’indicateur principal : l’adoption du Risque Harmonisé 1 (HRI1) au lieu du NODU précédemment utilisé.
Corentin Barbu de l’INRAE relativise l’impact de ce changement, tandis que l’association Générations Futures exprime son inquiétude quant à la pertinence de ce nouvel outil qui, selon eux, néglige des critères essentiels tels que la toxicité des substances. En effet, cet indicateur s’appuie sur le volume de substances actives vendues plutôt que sur leur toxicité ou les surfaces traitées.
Cette divergence d’opinions rend le consensus difficile et soulève des questions sur l’évaluation réaliste des progrès.
Investissements et innovations : les leviers du changement
Pour contourner les éventuelles impasses techniques et stimuler la recherche d’alternatives aux pesticides, le gouvernement a annoncé un budget annuel significatif. Dès 2024, 146 millions d’euros seront consacrés à la recherche et 50 millions d’euros à l’agroéquipement dans le cadre de la planification écologique et du programme France 2030.
Un appel à projets a déjà été lancé pour inciter à l’innovation agronomique. Agnès Pannier-Runacher a spécifié la nécessité d’investir massivement dans ce secteur pour garantir notre indépendance alimentaire et respecter les exigences environnementales.
Une meilleure surveillance de l’eau potable
Au cœur du plan Ecophyto 2030 se trouve aussi la promesse d’améliorer la surveillance de l’eau potable, avec une mise à jour des captages sensibles prioritaires et un guide destiné aux maires et préfets.
Les chiffres sont alarmants : une enquête d’Amorce indique que 88 % des collectivités ont détecté des pollutions aux métabolites de pesticides.
La stratégie mise en place se veut donc exhaustive, alliant anticipation grâce au Plan d’anticipation du potentiel retrait européen de substances actives (PARSADA) et actions pour limiter les distorsions entre producteurs européens.
- Accélérer la recherche et le déploiement des solutions agroécologiques
- Mieux connaître et réduire les risques liés à l’utilisation des pesticides
- Renforcer la recherche, l’innovation et la formation
- Améliorer la gouvernance territoriale et l’évaluation
Des méthodes alternatives pour une agriculture durable
Face à l’impératif de réduire l’usage des pesticides, le plan Ecophyto 2030 met en exergue la nécessité de développer des méthodes alternatives. Ces techniques agroécologiques visent à rééquilibrer les systèmes agricoles en s’appuyant sur les fonctionnalités offertes par la biodiversité.
Entre pratiques culturales innovantes, lutte biologique et biodiversité fonctionnelle, la variété des solutions envisagées est large. L’une des pistes prometteuses réside dans le recours aux cultures intermédiaires pièges à nitrates (CIPAN) pour limiter les intrants chimiques tout en préservant la fertilité des sols.
Réduction des risques et surveillance accrue
Au-delà de la nécessité de trouver des remplaçants aux substances chimiques, le plan Ecophyto 2030 souligne aussi l’importance d’une meilleure évaluation des risques liés à l’utilisation des pesticides.
Cela passe par un renforcement de la surveillance et de la recherche, notamment dans le domaine des impacts sur la santé humaine et sur les écosystèmes aquatiques. La récente mise en place de zones de non-traitement (ZNT) en bordure des cours d’eau témoigne de cette préoccupation croissante pour la protection des milieux naturels.
Formation et accompagnement : clés de la transition
L’accent est également mis sur la formation et l’accompagnement des agriculteurs dans l’adoption de ces nouvelles pratiques. L’objectif est double : garantir une transition douce pour le secteur agricole et assurer la pérennité des exploitations.
Le plan Ecophyto investit dans la formation continue, avec une attention particulière aux jeunes agriculteurs et aux conseillers techniques, qui sont en première ligne pour diffuser les savoir-faire agroécologiques.
Une dynamique collaborative
La réussite d’une telle transition nécessite un effort concerté impliquant tous les acteurs du monde agricole. Le plan Ecophyto 2030 a été élaboré à travers une dynamique de concertation inédite, associant étroitement les acteurs institutionnels et les représentants du monde agricole.
Le dialogue est ainsi ouvert entre les différents ministères concernés, les organismes de recherche, les associations environnementales et les professionnels du secteur.
Dans cet esprit, la gouvernance du plan s’appuie sur une structure collaborative : le Comité d’orientation stratégique et de suivi d’Écophyto. Cette instance vise à piloter, suivre et adapter la stratégie au fil du temps.
Elle joue un rôle crucial dans l’évaluation des actions engagées et permet d’ajuster les mesures selon l’évolution des contextes économique, environnemental et réglementaire.
Un défi européen et international
Enfin, il est essentiel de rappeler que la France ne saurait agir seule dans ce domaine. L’harmonisation des politiques agricoles au niveau européen est primordiale pour éviter les distorsions de concurrence et pour faire face collectivement aux enjeux environnementaux mondiaux.
Le plan Ecophyto 2030 s’inscrit ainsi dans une démarche globale, cherchant à influencer positivement les pratiques agricoles au-delà de nos frontières.
Si le chemin vers une agriculture sans pesticides est semé d’embûches, le plan Ecophyto 2030 fournit une feuille de route détaillée pour avancer vers cet horizon.
Avec un mélange de volonté politique, d’innovation scientifique et d’engagement collectif, ce défi pourrait bien être relevé pour le bien-être de notre santé et celle de notre planète.